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La citoyenneté est hors de portée pour des réfugiés syriens analphabètes

SURREY, C.-B. — Il y a trois ans, Fatum Ibrahim, âgée de 36 ans, et sept membres de sa famille, ont atterri à Surrey, en Colombie-Britannique, dans le cadre de l’Initiative de réinstallation des réfugiés syriens chère au premier ministre Justin Trudeau. Elle ne connaissait pas un mot d’anglais et ne pouvait ni lire ni écrire en arabe.

Même si elle suit des cours de langue quatre jours par semaine, elle a encore beaucoup de chemin à faire pour satisfaire aux exigences linguistiques en anglais de la citoyenneté canadienne. Bien que sa mère, son père, sa grand-mère et ses deux frères d’âge scolaire aient le droit de devenir citoyens cette année, elle et deux autres frères et sœurs adultes, qui n’ont jamais appris à lire et à écrire, n’auront pas la même chance. Sans passeport, ils sont bloqués au Canada, incapables de rendre visite aux six frères et sœurs qu’ils ont laissés en Turquie.

«Je veux être Canadienne. Notre pays a été détruit et n’existe plus. Maintenant, le Canada est notre seul pays… Mais je ne pense pas que je serai en mesure de passer le test d’anglais avant la fin de ma vie», a confié Mme Ibrahim par l’entremise d’un interprète.

Mme Ibrahim et ses deux frères et sœurs, qui vivent tous deux avec une déficience intellectuelle, ne sont pas des anomalies.

Les réfugiés syriens parrainés par le gouvernement sont arrivés au Canada avec moins d’éducation que les réfugiés qui les ont précédés. Quatre-vingt-un pour cent des 15 000 premiers réfugiés pris en charge par le gouvernement ont déclaré avoir un niveau d’éducation équivalent à l’enseignement secondaire ou moins.

Bien que le taux d’alphabétisation moyen de la Syrie — huit personnes sur dix avant que la guerre ne plombe ces résultats — soit relativement élevé pour cette région du monde, il existe une disparité considérable entre hommes et femmes. Seules 77 pour cent des femmes syriennes savent lire et écrire, contre 90 pour cent des hommes, les femmes en milieux ruraux comme Mme Ibrahim étant les plus mal servies. Or, le gouvernement canadien donnait la priorité à la réinstallation de ces femmes et de leurs familles.

Diana Jeffries gère des cours de langue anglaise pour la Société des ressources pour les immigrants du Pacifique (PIRS), financée en partie par le programme de Cours de langue pour les immigrants au Canada (CLIC) du gouvernement fédéral. Elle dit croire que les apprenants adultes en alphabétisation, comme Mme Ibrahim, ont raison de se demander s’ils seront un jour admissibles à la citoyenneté.

Pour satisfaire aux exigences linguistiques en anglais, les personnes doivent atteindre le niveau 4 de référence, ce qui signifie qu’elles peuvent comprendre des phrases simples et utiliser une grammaire de base. Mme Ibrahim a suivi des cours dans une classe de niveau 1 pendant plus d’un an.

«C’est impossible. Je n’ai jamais vu un non-alphabète dépasser le niveau 2», a souligné Mme Jeffries. «Vous devez également tenir compte du fait que non seulement ces femmes n’ont pas de compétences de lecture et d’écriture, mais elles sont souvent angoissées par le fait d’être en classe. Elles sont également des femmes qui ont beaucoup d’autres préoccupations — notamment en matière de garde d’enfants et de violence conjugale.»

Mme Ibrahim n’abandonne pas encore, après avoir appris à tenir un stylo et à écrire son prénom. Elle et sa mère, Shakha, tentent de se rendre à leurs cours de trois heures, du lundi au jeudi.

Mais des problèmes de santé chroniques entraînent une présence sporadique. Et la participation compte plus que jamais.

Nouvelle méthode de mesure critiquée

Depuis 2016, les programmes CLIC ont adopté une nouvelle méthode de mesure de la maîtrise de la langue. Appelée Évaluation linguistique basée sur le portfolio (ELBP), elle oblige les étudiants à rassembler la preuve de 32 travaux évalués avec succès afin de passer au niveau suivant. Les évaluations ont lieu en classe, ce qui fait qu’une absence constitue une occasion ratée de progresser.

«Nous nous faisons dire que des usagers sont intimidés par tout le processus, et que s’ils manquent un cours, ce qui arrive souvent quand il y a des rendez-vous chez le médecin ou s’ils ont besoin de garder leurs enfants, ils passent à côté de l’évaluation», souligne Julie Ship, coordonnatrice pour l’organisation en Colombie-Britannique Affiliation of Multicultural Societies and Services Agencies. «C’est presque trop rigoureux.»

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a répondu à une demande de commentaires par une déclaration qui n’aborde pas les questions concernant les besoins des réfugiés illettrés dans leur langue maternelle.

En 2018-2019, le gouvernement dit dépenser environ 762 millions $ pour répondre aux besoins en matière d’établissement des nouveaux arrivants dans toutes les provinces et tous les territoires, à l’exception du Québec, et consacrer plus d’argent à la formation linguistique que tout autre service d’établissement.

«La formation linguistique financée par le ministère est offerte à différents niveaux de compétence, allant de l’alphabétisation de base aux compétences linguistiques avancées», soutient le ministère. «Cela comprend des cours plus spécialisés, tels que la formation linguistique sur le marché du travail, qui propose une approche particulière à un emploi, principalement à des niveaux de compétence linguistique supérieurs, associée à un mentorat et à des stages pour accélérer la transition vers un emploi.»

En 2008, avant l’afflux de réfugiés syriens, Mme Jeffries avait mis en place un programme pilote destiné aux réfugiés ayant de multiples handicaps. Le financement du programme n’a pas été renouvelé et n’a pas duré assez longtemps pour permettre la comparaison des résultats avec les plans généraux.

«Les cours de préalphabétisation étaient fantastiques, car ils utilisaient différentes pédagogies plus expérimentales et kinesthésiques», explique Mme Jeffries. «Nous pouvions réaliser des projets artistiques basés sur la langue et qui étaient satisfaisants. En cuisine, (les participants) pouvaient prendre des mesures. Nous pouvions peindre l’alphabet et faire des choses plus créatives. Maintenant, il n’y a rien de tel avec l’Évaluation linguistique basée sur le portfolio.»

Andrea Solnes, consultante indépendante en langue pour la réinstallation, a rédigé un guide sur les apprenants marginalisés et à obstacles multiples. Les meilleures pratiques suggèrent le travail à deux, les stations d’apprentissage, l’utilisation active de bénévoles et d’assistants d’enseignement rémunérés.

Pour améliorer les résultats des apprenants en alphabétisation des adultes, Mmes Solnes et Ship privilégient également une approche moins axée sur le respect des normes que sur l’établissement de relations entre les réfugiés et la communauté plus large.

Sarah Schulman, La Presse canadienne

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