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Exceldor, Serres Demers et Olymel: Le vrai problème

Photo: Métro Média

En raison du conflit de travail chez Exceldor, le Québec risque de vivre une pénurie de poulet. Pendant que les commerçants au détail demeurent calmes, c’est la panique en restauration. Les détaillants ont des options. Ils peuvent vendre de la dinde ou autres sources de protéines. Pour la restauration, si votre expertise est le poulet, comme St-Hubert ou Chez Benny, la grève est un vrai cauchemar si elle dépasse une semaine.

« Notre dépendance envers la main d’œuvre est devenue un véritable problème pour l’industrie agroalimentaire. C’est ce que les événements aux Serres Demers et la grève chez Exceldor nous indiquent. »

Pire encore, des centaines de milliers de poulets ont déjà été euthanasiés depuis le début du conflit. Euthanasier des poulets au gaz est un sujet tabou pour l’industrie, et il est toujours difficile d’obtenir des chiffres exacts. Ce sont des poulets produits pour rien, jeter à la poubelle. Le nombre pourrait dépasser le million d’ici quelques jours. Les règles strictes dans le secteur font en sorte qu’il n’existe pratiquement aucune autre option. En raison de la gestion de l’offre dans le secteur avicole, un système qui limite la production et les échanges entre provinces, la fermeture d’une usine mène souvent à l’euthanasie. C’est ce qui est arrivé durant la pandémie avec la fermeture de quelques usines au Québec et ailleurs.

En revanche, difficile de ne pas sympathiser avec les travailleurs. Les conditions de travail sont extrêmement difficiles. Les abattoirs sont des lieux violents, humides, bruyants et la plupart des tâches demandent un effort physique répétitif. Les travailleurs ont des droits et, avec la pénurie de main d’œuvre et l’impact de la pandémie, le syndicat en profite. Pourquoi pas. Les revendications du syndicat sont tout à fait raisonnables. Malheureusement, il y aura sûrement d’autre conflits de travail dans le secteur au cours des prochains mois. Alors préparez-vous.

Pour ce qui est de la main d’œuvre, le secteur agroalimentaire est vraiment à la croisée des chemins. Les québécois ont récemment été choqués par la diffusion d’un reportage effectué chez les Serres Demers sur les conditions de d’hébergement des travailleurs provenant de l’étranger. Les logements étaient insalubres et vraiment affreux. Le président des Serres Demers a bien sûr offert ses excuses, mais le problème est toujours là. Et la situation aux Serres Demers n’est malheureusement pas un cas isolé. Il y en d’autres cas aussi abominables ailleurs au Canada.

Cependant, le problème n’est pas que les salaires inadéquats ou les conditions de travail inacceptables. Le défi est beaucoup plus profond que cela. Même si, par exemple, Exceldor offrirait le 40% d’augmentation de salaire sur 3 ans exigé par le syndicat, la plupart d’entre nous refuserions tout de même de travailler dans de telles conditions. Et si les logements étaient mieux chez les Serres Demers, la majorité des Canadiens et Québécois continueraient de fuir ces emplois. Soyons honnêtes.

Pour empêcher ces fermetures et problèmes de gestion, la solution facile est de libeller le secteur agroalimentaire comme un service essentiel, et ce, pas seulement au détail. Puisque la filière agroalimentaire est une question d’autonomie alimentaire, l’objectif ultime est d’offrir des produits de chez nous, à un prix abordable. D’ailleurs, c’est l’objectif pour l’ensemble des économies en occident. Mais d’autres pays adoptent une approche tout à fait différente.

Ailleurs en Occident, les systèmes agroalimentaires se capitalisent à un rythme ahurissant. Dans des pays comme la Hollande ou le Danemark, et même aux États-Unis, l’automatisation des processus et l’adoption d’intelligence artificielle sont devenus des priorités pour le secteur, surtout depuis le début de la pandémie. Des investissements publics et privés font en sorte que la filière n’est plus aussi à risque de perturbations. En effet, les investisseurs privés proviennent souvent de secteurs qui n’ont rien à voir avec l’agriculture. Ils arrivent avec de nouvelles idées, une philosophie différente. Des changements mènent souvent à une main d‘œuvre mieux payée et le talent nécessaire pour gérer ces opérations est généralement plus sophistiqué. Ce sont des emplois qui vont davantage intéresser les travailleurs domestiques.

En somme, notre dépendance envers la main d’œuvre est devenue un véritable problème pour l’industrie agroalimentaire. C’est ce que les événements aux Serres Demers et la grève chez Exceldor nous indiquent. Il va falloir songer à miser sur de nouveaux modèles modernes. Mais pour se faire il faut du capital et les gouvernements ne peuvent pas tout faire. Il va falloir intéresser des investisseurs, surtout ceux qui n’ont rien à voir avec l’agriculture.

 

Dr. Sylvain Charlebois, professeur titulaire, directeur principal, Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, Université Dalhousie

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