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Mordre la main qui nourrit les restaurateurs

Photo: Métro Média

Un restaurant montréalais lance un recours collectif contre les entreprises de livraison pour les commissions prétendument exorbitantes et abusives facturées pendant la pandémie. Deli Boyz, le principal plaignant dans l’affaire, cible les entreprises de livraison de nourriture qui gèrent ces plateformes, notamment Uber Eats, DoorDash et SKIP. Il demande à un juge de statuer sur la facturation d’une commission ne dépassant pas 15 % de la commande totale du client. Présentement, certains facturent des frais de 30 % sur chaque commande.

Devoir soustraire 30 % d’une commande élimine une bonne partie du profit du restaurateur. Cette situation frustrante pour plusieurs s’ajoute aux aléas des grandes périodes de confinement que nous vivons présentement. Difficile de ne pas sympathiser avec des entrepreneurs qui se dévouent et innovent pour nous tous. Leur legs au patrimoine agroalimentaire national est inestimable.

« Les entreprises innovantes perdront tout intérêt à s’établir au Québec si lors de la moindre crise, le gouvernement intervient afin de statuer sur les prix et les conditions du marché. Si Québec décide d’agir ainsi, bonne chance pour la suite. »

Cependant, il faut rester prudent. Grâce à leurs abonnés, ces applications ont permis aux restaurateurs d’élargir leur clientèle. Alors, mordre la main qui nourrit l’industrie ne constitue pas l’idée du siècle. Forcer des entreprises à changer les règles du jeu serait maladroit.

Observons certains faits. Selon le Bureau du surintendant des faillites à Ottawa, on enregistre entre 60 et 80 faillites en restauration au Canada depuis le mois d’août, alors qu’on dénombre près de 98 000 restaurants au pays. La plupart des restaurants fermés, environ 10,000 en tout, attendent des jours meilleurs ou resteront fermés définitivement. La grande majorité des restaurants qui opèrent survivront. Selon les chiffres de Statistique Canada du mois de décembre, le secteur emploie environ 74 % du personnel qu’il comptait avant la pandémie. La situation n’est pas rose, certes, mais pas apocalyptique non plus.

De plus, les restaurateurs n’ont pas l’obligation d’utiliser ces services de livraison qui n’existaient d’ailleurs même pas il y a une dizaine d’années. Sans eux, les restaurateurs n’auraient d’autre choix que de fermer boutique ou livrer les repas eux-mêmes. Ces entreprises innovantes ont permis à plusieurs restaurateurs de survivre et d’élargir leur marché. Les frais supplémentaires sont payés à des services de livraison qui leur génèrent des ventes qui n’existeraient probablement pas sans ces services. Avant la pandémie, certains restaurateurs rouspétaient sur les frais, mais sans plus. Le contexte pandémique a changé bien des choses et offre une occasion en or pour les restaurateurs de recevoir l’appui du public. L’intention reste bonne, mais l’argument est un peu malhonnête.

L’autre vérité embarrassante pour les restaurateurs réside dans les prix affichés au menu. Ces prix prennent en considération les frais que les restaurateurs doivent assumer avec le service de livraison. Ce qui explique la raison pour laquelle les prix sur les menus ont augmenté énormément au cours des derniers mois.

Depuis le début de la pandémie, les restaurateurs démontrent une résilience impressionnante. Mais cette poursuite va un peu trop loin. La Colombie-Britannique a décidé d’agir, mais la province de l’ouest n’a peut-être pas pris la meilleure décision non plus.

Si par hasard, les frais pour les restaurateurs diminuaient de 15 % ou 20 %, en vertu d’un décret, alors qu’arrivera-t-il si ces frais devaient augmenter à nouveau ? Peu certain que les restaurateurs accepteraient une augmentation après une baisse aussi généreuse. Les conditions du marché auront changé. Les entreprises innovantes perdront tout intérêt à s’établir au Québec si lors de la moindre crise, le gouvernement intervient afin de statuer sur les prix et les conditions du marché.

Si Québec décide d’agir ainsi, bonne chance pour la suite.

 

Dr. Sylvain Charlebois, professeur titulaire, directeur principal, Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, Université Dalhousie

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