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Histoire de matante et mononcle

Pour les francophones, Tante Jemima représente le sirop de poteau par excellence et une préparation de crêpes infaillible. Peu connaissent d’autres marques. Pour les anglophones qui ont grandi sans le luxe de connaître les vertus du bon liquide doré provenant des érables, le sirop Tante Jemima accompagne bien les crêpes et les gaufres. Mais voilà que Quaker Oats, propriétaire de la marque Tante Jemima, s’apprête à annoncer un changement de nom et d’image pour éviter d’entretenir de vieux stéréotypes racistes.

Cette marque a de l’histoire, une lourde histoire. Le logo de la marque existe depuis plus de 130 ans et représente une femme afro-américaine nommée d’après un personnage de spectacles de ménestrels du XIXe siècle. La caricature offensante s’enracine dans le stéréotype d’une femme noire amicale travaillant comme domestique pour une famille blanche. La plupart des consommateurs ignoraient que l’esclavage se retrouvait carrément dans l’ADN de cette marque.

« L’industrie agroalimentaire se voit frappée de plein fouet par le mouvement antiraciste. Le racisme systémique se retrouve partout, même sur nos tablettes d’épicerie, et les géants de l’alimentation commencent à le reconnaître. »

Le logo disparaîtra avant la fin de l’année. Depuis plus de 40 ans, certains groupes faisaient pression sur l’entreprise pour changer l’identité visuelle de ces produits. Il fallait attendre un mouvement massif contre le racisme pour inciter Quaker Oats à agir. Quaker Oats, une filiale du géant PespiCo, annonçait du même coup qu’elle allait verser cinq millions de dollars américains en faveur d’initiatives pour la minorité afro-américaine. Bien sûr, ce geste peut sembler opportuniste et perçu par certains comme du « Black Lives Matter washing » pour se donner bonne conscience, comme on le voit parfois avec des causes liées à l’environnement. Certaines entreprises feront des dons, vides de sens. Espérons que ce n’est pas le cas.

Dans cette même foulée, la compagnie Mars a aussi déclaré qu’elle évaluait des changements possibles à la marque de riz emballé « Uncle Ben’s », qui présente un homme afro-américain aux cheveux blancs nommé d’après un riziculteur du Texas. Un autre geste tout à fait approprié. Le racisme systémique a depuis longtemps été symbolisé sur nos tablettes d’épicerie. Notre éveil collectif fait en sorte que plusieurs d’entre nous voient les choses différemment.

Ces marques incontestablement racistes et leur longévité déconcertante témoignent du pouvoir du marketing pour renforcer les stéréotypes offensants. La publicité et le marketing alimentaire jouent un rôle important dans la promotion d’un monde archi-blanc. Les entreprises ont longtemps eu une influence dans la perpétuation d’une image selon laquelle les blancs sont immensément supérieurs. Pendant que ces marques s’ancraient dans notre patrimoine alimentaire, ces symboles dans nos supermarchés normalisaient le racisme systémique. On le reconnaît aujourd’hui.

Pour les entreprises qui décident d’agir, leurs gestes sont méritoires. Mais il reste difficile de ne pas se demander si ces décisions s’inscrivent dans une véritable volonté de changer les choses, ou s’il y a plutôt une prise de conscience révélant qu’il n’y a plus d’argent à faire en perpétuant des stéréotypes archaïques. Le temps nous le dira.

Tout en restant imaginatif, le marketing alimentaire doit aussi s’effectuer dans le respect des valeurs contemporaines d’une société qui évolue. L’utilisation de stéréotypes ne constitue pas une nouvelle stratégie en marketing alimentaire. En effet, certaines stratégies ne causent pas vraiment de préjudices. Au Québec, certaines marques utiliseront des stéréotypes de la société québécoise. Mais jamais les marques québécoises n’iront aussi loin que de positionner les Québécois, ou la culture québécoise, comme des êtres supérieurs à d’autres. Voilà toute une nuance.

Il faut prendre conscience que certains stéréotypes doivent disparaître. Les marques sont incroyablement puissantes, et sans vraiment s’en rendre compte, elles peuvent favoriser un sentiment suffisant de supériorité blanche. Alors que des marques telles que Tante Jemima et Oncle Ben ne peuvent pas être les uniques responsables du racisme systémique d’aujourd’hui, l’utilisation de ces icônes stéréotypées pour représenter une marque, un produit alimentaire, offre une tribune inouïe à des images d’un passé sombre de notre société.

Le marketing alimentaire doit évoluer. Il y aura sûrement d’autres marques qui subiront le même sort. Certaines marques lancées ces dernières années pourraient être reconsidérées dans un contexte social qui change avec le temps, et c’est correct. Pourvu qu’une entreprise reconnaisse que la justice sociale et la façon dont nous préservons l’équité restent en constante évolution.

 

Dr. Sylvain Charlebois, professeur titulaire, directeur principal, Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, Université Dalhousie

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