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Démocratisation de la distribution alimentaire

Aux États-Unis, la distribution alimentaire repose sur plusieurs entreprises. D’un État à l’autre, les détaillants en alimentation varient. En Europe, où les marchés agroalimentaires sont plus régionalisés, les consommateurs ont le choix parmi plusieurs détaillants. Au Canada, vu les grandes distances et la petite taille de la population, le marché de la distribution reste beaucoup plus homogène.

Malgré l’oligopole formé par Loblaw-Provigo, Sobeys-IGA, Métro, Wal-Mart et Costco, les Canadiens sont relativement bien servis. La qualité s’y trouve et l’abordabilité alimentaire n’a jamais été un enjeu aussi important qu’ailleurs dans le monde. Les Canadiens ont accès à l’un des paniers d’épicerie les moins chers sur la planète, selon le salaire moyen des ménages. Mais l’achat en ligne n’a jamais constitué une priorité non plus, et la crise de la COVID-19 nous le démontre clairement.

« L’après-COVID présentera un défi de taille aux grandes bannières en distribution. Plusieurs magasins risquent de disparaître à cause de l’augmentation importante des frais d’exploitation des derniers temps. Malgré cela, grâce au commerce alimentaire virtuel qui explose, les consommateurs risquent d’en ressortir gagnants. »

On a toujours voulu privilégier le trafic en magasin. Avant qu’Amazon achète Whole Foods en 2017, le commerce électronique se percevait comme un service superflu par la plupart des bannières. Cette nouvelle façon de faire a pourtant donné le coup d’envoi à nos bannières à s’activer pour nous offrir une stratégie cybernétique. L’essentiel visait à répondre à cette menace que présentait Amazon. Malgré cela, avant la COVID-19, l’achat alimentaire en ligne au Canada représentait à peine 2 %. Ailleurs, comme l’offre fournit une variété, le commerce en ligne était beaucoup plus développé. Il ne s’agit donc pas d’une coïncidence si l’achat en ligne aux États-Unis et en Europe connaît une avancée plus marquée qu’au Canada. Avant la COVID-19, certains pays européens atteignaient 10 % des ventes en ligne et les États-Unis tournaient autour de 7 %.

Mais avec l’arrivée de la COVID-19, le commerce en ligne devient le refuge idéal pour ceux qui veulent éviter les commerces à tout prix, situation que peu de gestionnaires avaient anticipée. Bien sûr, en raison des mesures de confinement, plusieurs ne peuvent même pas se déplacer. Un marché fort différent. Près du quart des Canadiens envisagent maintenant d’acheter des produits alimentaires en ligne de façon régulière après la pandémie.

Autrement dit, le commerce électronique représente dorénavant une option légitime aux yeux des consommateurs, alors les bannières s’ajustent et se mobilisent. Sobeys-IGA, en partenariat avec Ocado, une firme anglaise spécialisée en commerce électronique, laissait récemment un centre pour soutenir sa stratégie virtuelle. Loblaws-Provigo, délaissait son programme de trousses de repas Choix du Président, des repas pré-mesurés et pré-préparés pour livraison à la maison. Malgré leurs efforts, les grands de la distribution peinent à satisfaire une demande très forte. Certains vont même demander à leur clientèle en ligne de laisser leur place à ceux qui sont atteints de la COVID-19 ou qui ne peuvent venir physiquement sur place. Certains commerçants en Europe et aux États-Unis ont éprouvé des ennuis en raison du volume des ventes en ligne. Depuis l’arrivée de la COVID-19, on assiste à un « Cyber-Lundi » tous les jours, mais ces épiciers sont tout de même en mesure de répondre à cette demande grandissante, mieux qu’ici. Bref, le Canada alimentaire virtuel est en mode rattrapage sur le reste de l’occident, en raison de la COVID-19.

Entre temps, en marge de tout cela, un nouveau marché s’installe. D’abord, il y a les entreprises qui pivotent, d’un secteur à l’autre. Sysco Canada, PepsiCo et plusieurs autres entreprises en transformation et distribution n’ayant jamais vendu directement aux consommateurs, décident de le faire maintenant. Eh oui, vous pouvez commander votre Pepsi, directement chez Pepsi maintenant. Ou vous pouvez acheter 2,5 livres de calmar tubes et tentacules légèrement panés pour environ 94 $, chez Sysco Canada. Plusieurs restaurateurs ont choisi de transformer leur restaurant en épicerie, vendant à des consommateurs à la recherche de farine, sucre et autres produits devenus rarissimes. Plusieurs vendent en ligne. Au-delà d’une cinquantaine de marchés publics au Canada vendent dorénavant en ligne. Le marché virtuel alimentaire a réellement pris son envol. Certaines initiatives ne survivront pas, certes, mais plusieurs resteront.

La COVID-19 redéfinit les règles du jeu en distribution. Le commerce en ligne permet à tout le monde d’avoir accès au consommateur ; producteurs, restaurateurs, transformateurs, grossistes, agents, courtiers, vraiment tout le monde. Essentiellement, la COVID-19 démocratise la distribution alimentaire, et les consommateurs risquent de s’en sortir gagnants. Imaginez, pouvoir acheter des produits d’un agriculteur ou d’un boulanger de votre quartier, et ce, chaque semaine. Pourquoi pas ?

L’après-COVID sera lourd de conséquences pour les grands de la distribution au Canada. Gérer un magasin alimentaire de taille moyenne coûte entre 5 à 7 % plus cher qu’il y a trois mois. Salaires, consignes de salubrité, activités de nettoyage, équipements de protection, tout coûte plus cher. Avec des marges bénéficiaires qui dépassent rarement les 2 %, il est certain qu’il y aura moins de magasins, et peut-être même moins de choix en magasin. Mais avec le commerce électronique qui prend une place beaucoup plus importante, la combinaison des visites virtuelles et physiques offrira vraisemblablement un plus grand choix, et non le contraire.

 

Dr. Sylvain Charlebois, professeur titulaire, directeur principal, Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, Université Dalhousie

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