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Quel avenir pour les usagers du Réseau de transport de la Capitale?

Photo: Métro Média

Nous ne devons pas nous étonner des nombreuses questions soulevées par le BAPE dans son rapport rendu public dernièrement. Ce rapport, faut-il le rappeler, en est un d’enquête sur la construction du tramway proposé par la Ville de Québec. Or, quiconque ayant assisté aux audiences publiques sur le projet de réseau structurant de transport en commun a pu se rendre compte que cet exercice consistait davantage à défendre le tramway qu’à répondre aux questions, pourtant bien légitimes, posées par les citoyens.

Malgré ses lacunes, le rapport du BAPE a au moins le mérite d’aborder de front, sans idées préconçues, la question fondamentale suivante : quels sont les avantages du tramway proposé sur le plan de la mobilité durable ? L’une des principales critiques à ce sujet mérite qu’on s’y attarde, à savoir l’imposition de « nouvelles correspondances pénibles et répulsives » causées par la stratégie de rabattement des parcours en périphérie vers le tramway.

En effet, quand on y regarde de plus près, on constate que de nombreux parcours d’autobus devraient être modifiés et même abandonnés à cause du tramway, à commencer par la majorité des parcours « eXpress » actuels. Cela tient au fait que le tramway, contrairement aux Métrobus 800 et 801 qu’il remplacerait, ne peut pas partager son trajet avec les autobus conventionnels : les voies non accaparées par le tramway ne peuvent servir aux autobus en raison de leurs arrêts fréquents qui bloqueraient la circulation automobile. Or, le service eXpress est une composante essentielle du réseau actuel desservant les banlieues.

À ce sujet, on peut lire sur le site web du RTC qu’il est « le meilleur moyen pour vous rendre au travail ou à l’école. Il emprunte les autoroutes et vous transporte donc rapidement de votre secteur résidentiel vers le centre-ville de Québec ou le centre de Ste-Foy. » Le hic, c’est qu’une bonne partie des axes empruntés par les parcours eXpress (boulevard Henri-Bourassa, 1ere Avenue, boulevards René-Lévesque et Laurier, chemin des Quatre-Bourgeois) ne seraient plus accessibles en raison du tramway. En clair, cela veut dire que les eXpress de Charlesbourg à destination de l’Université Laval (330), de Ste-Foy centre (530) ou de Revenu Québec (331), par exemple, seraient à toutes fins pratiques abolis, de sorte que les usagers devraient se rabattre sur le tramway, avec les transferts et toutes les stations qu’il implique.

Or, la Ville n’a fourni aucune analyse précise sur les gains ou les pertes d’efficacité pour ces usagers des parcours eXpress, se contentant de dire que la situation est actuellement à l’étude. Et c’est bien là l’erreur qui lui est maintenant reprochée : avoir omis d’élaborer un plan précis, crédible et chiffré de desserte des banlieues. On peut bien sûr espérer minimalement que le tramway serait rapide et ne serait pas ralenti aux heures de pointe par l’embarquement de tous ces usagers par une seule porte; mais ici encore, nous avons reçu de la Ville pour toute réponse à ce sujet : « À savoir si les clients pourront entrer par toutes les portes du tramway : bien que cette solution soit envisagée, il est trop tôt pour se prononcer sur le mode opératoire qui sera retenu »… Voilà qui n’est guère rassurant!

Mais il ne suffit pas simplement de soulever les faiblesses potentielles du réseau proposé à l’instar du rapport du BAPE : pour être objectif, il faut également en souligner les avantages potentiels. Sur ce point, il faut accorder du crédit au maire Labeaume lorsqu’il mentionne la haute fréquence du tramway, sa fiabilité, sa rapidité et son confort. Il faut être un usager régulier du transport en commun pour comprendre (pour l’avoir vécu) que ces avantages ne peuvent pas être atteints avec les Métrobus. En effet, même si on en augmentait considérablement la fréquence, les phénomènes de ralentissement et de « percutage », causés notamment par l’embarquement des passagers par une seule porte, les arrêts aux feux de circulation non-synchronisés et l’interférence constante des automobiles, font que ces autobus conventionnels demeureront toujours lents aux heures de pointe car ils ont atteint leur capacité optimale eu égard à la densité actuelle de la population. Quant au confort, la déformation de la chaussée, causée par le passage constant et le poids des Métrobus, fait de ceux-ci de véritables manèges de foire par endroits tant leurs soubresauts sont nombreux!

Pour sa part, le tramway roulerait sur une chaussée renforcée de béton, lui assurant une grande stabilité, en plus d’être en « site propre » affranchi de la congestion automobile et synchronisé aux feux de circulations. Quant aux « correspondances pénibles » causées par le rabattement des trajets en périphérie vers le tramway, ils ne sont pas propres au tramway : quiconque a vécu à Montréal sait qu’un grand nombre de parcours d’autobus sont rabattus vers les stations de métro pour des raisons d’efficacité. Ainsi, pour autant qu’ils soient convenablement ajustés, les parcours en périphérie du RTC pourraient être rabattus vers le futur tramway sans trop de perte d’efficacité, voire même des gains d’efficacité.

Il incombait cependant à la Ville d’en faire la démonstration pour clairement définir son tramway en tant que véritable « colonne vertébrale » du futur réseau structurant de transport en commun. Or, ce qui nous a été présenté se résume à quelques pôles d’échange ne permettant pas trop d’entrevoir les interconnexions et les gains d’efficacité, et entraînant du même coup le BAPE à remettre en question la pertinence du tracé du tramway, voire du tramway lui-même. Certes, le plan de la Ville comporte de nouveaux trajets destinés à desservir les banlieues, mais quand on considère que l’un de ces axes majeurs, le trambus reliant le pôle D’Estimauville à l’Université Laval via le boulevard Charest, a dû être abandonné en raison des coûts, on ne peut que se désoler.

Cette remise en question du BAPE nous amène à la croisée des chemins. En effet, si on croit au tramway, son tracé ne saurait être modifié qu’à la marge (par exemple pour rejoindre le siège social de Revenu Québec comme nous l’avons réclamé), car ce tracé emprunte, selon nous, les voies optimales, dont la démonstration a été amplement faite par les Métrobus 800 et 801 pour leur fréquentation et leur efficacité. Ce qui doit plutôt être remis en cause, ce sont les budgets accordés par les gouvernements à la Ville de Québec. Quand on considère que le métro de Montréal compte à lui seul 71 kilomètres au coût moyen de 650 M $ par kilomètre, pour un total de 46 milliard de dollars, on se rend compte à quel point un budget de 3 milliards $ peut être dérisoire pour moderniser le réseau de transport de la Capitale.

En conclusion, nous croyons que le tramway devrait aller de l’avant, mais sans perdre de vue le fait que le futur réseau structurant de transport en commun viendra affecter l’ensemble du réseau actuel élaboré sur plus de cinquante ans. Il nous semble donc impératif que la Ville mette sur pied, dès maintenant, un comité de transition qui veillerait à répondre aux préoccupations légitimes des usagers actuels et à élaborer des solutions qui, à la fois, minimiseraient les impacts négatifs à leur égard tout en étant adaptées à de nouvelles clientèles en provenance des banlieues. Car il ne faut jamais perdre de vue que le futur réseau est en grande partie basé sur des modèles et des projections théoriques, tandis que le succès du transport en commun repose sur des considérations pratiques.

Pierre Gagné
Auteur de la pétition réclamant le passage du tramway à Revenu Québec
Ex-porte-parole du Comité régional des usagers du transport en commun de Québec
Ex-membre du Comité des plaintes du Réseau de transport de la Capitale (RTC)

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