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Alcool au volant: Ottawa veut faire passer la limite légale de 0,08 à 0,05

La ministre de la Justice du Canada, Jody Wilson-Raybould, songe à amender le Code criminel pour diminuer la limite légale du taux d’alcoolémie de 80 à 50 milligrammes par 100 millilitres (0,08 à 0,05) dans le sang.

Alcool au volant.

depositphotos.com – Zerbor

Dans une lettre envoyée à son homologue québécoise, Stéphanie Vallée, elle écrit qu’une telle modification législative «permettrait de mieux contrer le danger que posent les conducteurs qui ont consommé de l’alcool».

La ministre de la Justice du Canada, Jody Wilson-Raybould

PC

La ministre Wilson-Raybould fait valoir dans la missive datée du 23 mai que la limite actuelle a été établie à la lumière de résultats de recherches selon lesquels «le risque d’être impliqué dans un accident de la route mortel était deux fois plus élevé à ce taux d’alcoolémie».

Or, «des recherches plus récentes indiquent que les données initiales avaient sous-estimé ce risque» — le risque «est presque deux fois supérieur à 50 mg. À 80 mg, il est supérieur de près de trois fois, et il augmente de manière exponentielle au-delà de ce taux», écrit-elle.

La ministre de la Justice du Canada cite l’expérience de l’Irlande, qui est «particulièrement pertinente», plaide-t-elle, lorsque vient le temps de démontrer l’«effet dissuasif» que l’adoption d’une limite légale de 0,05 peut entraîner.

«L’abaissement du taux d’alcoolémie à 50 mg, combiné au dépistage obligatoire d’alcool, a donné lieu à une diminution de 50 pour cent des accidents mortels sur la route, et à une réduction approximative de 65 pour cent du nombre d’accusations», souligne-t-elle.

Cette proposition de Jody Wilson-Raybould s’inscrit dans le cadre d’une démarche entreprise par le gouvernement libéral visant à resserrer l’étau sur les conducteurs qui prennent le volant après avoir consommé des substances qui altèrent les facultés.

Au printemps dernier, en même temps qu’il déposait le projet de loi sur la légalisation du cannabis, C-45, le gouvernement de Justin Trudeau présentait la mesure législative C-46, laquelle contient des mesures plus sévères en matière de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool et la drogue.

En vertu des dispositions de C-46, les policiers pourraient notamment demander un échantillon d’haleine à un conducteur intercepté même si ce conducteur n’était pas soupçonné de conduire en état d’ébriété. À l’heure actuelle, les policiers ne peuvent le faire sans motifs raisonnables.

La ministre fédérale de la Justice n’était pas disponible pour une entrevue, mardi, pas plus que son homologue québécoise. Au bureau de Mme Vallée, on a dit ne pas avoir l’intention de faire de commentaires «vu que la question est toujours sous analyse».

Du côté du Parti conservateur, on n’a pas commenté la proposition sur le fond. «Lorsqu’une législation concernant la limite légale d’alcool (sera) déposée en Chambre, nous l’étudierons attentivement», a-t-on simplement déclaré.

Mais selon une source gouvernementale fédérale, on n’en est pas encore là.

La démarche de la ministre Wilson-Raybould, a insisté cette source, visait essentiellement à consulter les provinces et discuter de l’évolution des données scientifiques depuis que la limite de 0,08 a été inscrite au Code criminel, en 1969, pas à proposer une modification législative.

«Il serait prématuré de dire que quiconque a l’intention d’abaisser la limite au moment où on se parle», a indiqué la source gouvernementale.

À cette affirmation, le porte-parole néo-démocrate en matière de Sécurité publique, Matthew Dubé, a réagi mardi en disant: «si c’est un ballon d’essai, on est très heureux de le voir, parce qu’on doit avoir ce débat-là».

En revanche, cela ressemble plutôt à un «fait accompli», ce qui est un peu plus «troublant», car la déferlante de réactions montre qu’on «doit entendre les intervenants», a ajouté l’élu, soutenant au passage que sa formation n’est «pas fermée à l’idée» d’abaisser la limite.

Le débat reprend au Québec

Le Québec demeure à ce jour la seule juridiction canadienne à ne prévoir aucune sanction pour les conducteurs qui dépassent la limite de 0,05. Le gouvernement de Jean Charest a tenté à deux reprises de punir ces automobilistes par la voie législative, mais en vain.

En 2010, les libéraux ont proposé de suspendre pendant 24 heures le permis de conduire d’une personne ayant un taux d’alcoolémie supérieur à 0,05. Il a été contraint de reculer face à l’opposition des partis adverses et des restaurateurs.

Le changement «beaucoup plus important» envisagé par le fédéral inquiète encore plus François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ).

«On parle de criminaliser, on parle de changer le Code criminel, de faire en sorte que quelqu’un se retrouverait avec un dossier criminel et pourrait notamment être empêché de voyager à l’étranger parce qu’on retrouve un taux d’alcoolémie entre 0,05 et 0,08», a-t-il dit.

«Pour une femme, elle serait limitée à une seule consommation, et pour un homme, dans la plupart des cas, c’est deux consommations. Alors c’est fini, la bouteille de vin à deux à la Saint-Valentin pour un couple», a illustré M. Meunier.

Les propriétaires de débits de boissons n’étaient pas chauds à l’idée du gouvernement Charest non plus. Et aujourd’hui, le président de l’Union des tenanciers de bars du Québec (UTBQ), Peter Sergakis, semble prêt à remonter aux barricades pour bloquer le projet du gouvernement Trudeau.

«On va pénaliser les conducteurs responsables qui arrêtent présentement de boire avant 0,08. Le problème, ce sont les récidivistes (…) et les policiers qui appliquent les lois existantes seulement pendant les Fêtes», s’est-il exclamé en entrevue téléphonique.

Il dit avoir «hâte de voir les statistiques» évoquées dans la lettre de Mme Wilson-Raybould, parce que les politiciens «disent n’importe quoi» et ne font ce genre de proposition que pour se «faire du capital politique», a pesté M. Sergakis.

«Trudeau, là, avec la mari qu’il va légaliser, il va geler tout le monde! C’est deux poids, deux mesures! Il va geler le monde, puis là, il veut les empêcher de boire. Où est la logique?», s’est-il insurgé à l’autre bout du fil.

De son côté, CAA-Québec a déclaré par voie de communiqué que l’idée du fédéral était certes «louable», mais qu’avec la légalisation du cannabis dans moins d’un an, le moment «est mal choisi».

«Avec l’abaissement de la limite légale d’alcool à 0,05, nous croyons que la bouchée serait trop grosse pour les gouvernements, et la pilule, trop difficile à avaler pour les automobilistes», a prévenu le directeur de la Fondation CAA-Québec pour la sécurité routière, Marco Harrison.

L’article du Code criminel sur la conduite avec facultés affaiblies

253 (1) Commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou a la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur, d’un bateau, d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, que ceux-ci soient en mouvement ou non, dans les cas suivants:

a) lorsque sa capacité de conduire ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue;

b) lorsqu’il a consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépasse quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang.

(2) Il est entendu que l’alinéa (1) a) vise notamment le cas où la capacité de conduire est affaiblie par l’effet combiné de l’alcool et d’une drogue.

Mélanie Marquis, La Presse canadienne

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