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Et si on appliquait les mesures d’urgence à la lutte aux changements climatiques?

L’objectif mondial est de limiter la hausse du réchauffement climatique à 1,5° par rapport à l’ère préindustrielle. Un seul scénario du GIEC, le plus contraignant, offre une possibilité raisonnable de respecter ce seuil. Photo: Photo iStock

Après 17 mois de pandémie de COVID-19, le Québec, le Canada et le monde entier ont eu un aperçu des possibilités qui s’ouvrent aux décideurs lorsqu’on applique un effort de guerre à un problème majeur. À quoi ressemblerait un «effort de guerre» en matière de lutte aux changements climatiques?

Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est accablant. Une bonne part du réchauffement climatique est attribuable à l’activité humaine et le monde n’a que quatre ans pour amorcer une diminution majeure des émissions de gaz à effet de serre (GES).

C’est le 6e rapport du GIEC qui alerte l’humanité sur la nécessité d’agir. Anne Plourde, chercheuse postdoctorale à l’Université York et à l’IRIS, constate l’inaction des dirigeants face à la crise climatique alors que les experts eux-mêmes disent qu’il faut des mesures structurantes et radicales.

Apprendre de la lutte à la COVID-19

La pandémie a amené des chamboulements dans l’application de nos droits et libertés. Des restrictions comme le couvre-feu, le télétravail, la fermeture des frontières, les déplacements sont apparues, dérogeant en partie aux chartes canadienne et québécoise des droits, dans le but de vaincre la menace de la COVID-19. «La pandémie a démontré que l’on pouvait prendre des mesures rapides et radicales», rappelle Mme Plourde.

Des mesures liées à la lutte contre la COVID-19 pourraient alors s’appliquer à la lutte contre les changements climatiques. Par exemple, l’adoption généralisée du télétravail ou la restriction des voyages. Cependant, pour le cas du télétravail, Mme Plourde indique qu’à l’heure actuelle, nous n’avons pas d’études qui confirme que le télétravail a des effets bénéfiques supérieurs à la réduction du transport que cela engendre.

«Le télétravail réduit les déplacements des personnes, mais augmente la consommation d’électricité et des serveurs. J’espère qu’une étude nous donnera la réponse sur lequel de ces choix est le moins polluant. De plus, tout le monde ne peut faire du télétravail. Par contre, à ce niveau, il convient de travailler sur une urbanisation des villes qui réduit au maximum les déplacements.»

Et si on adaptait plutôt le passeport vaccinal? L’idée d’un «passeport environnemental» pour ceux ne respectant pas leur devoir dans le cadre de la lutte aux changements climatiques serait contre-productif et discriminatoire selon Anne Plourde. «Cela créerait de la résistance au même titre que ce que l’on voit avec le passeport vaccinal. Un tel passeport pourrait être discriminatoire, car les mieux nantis auraient plus de facilité à respecter les mesures environnementales, par exemple au niveau de l’alimentation, du choix d’un véhicule ou d’autres raisons en dehors de leur contrôle.»

Dans un tel défi de société, la recherche de l’adhésion est préférable. Il s’agit «d’impliquer les gens dans un effort commun plutôt que les démobiliser», précise-t-elle. Imposer des mesures d’urgences impliquerait une restriction de certains droits et de la démocratie, explique-t-elle.

Emprunter la voie législative

Au-delà des mesures spécifiques, il existe un débat juridique plus large: celui de mettre de côté un processus législatif classique pour tendre vers l’application de mesures d’urgence pour atteindre les objectifs climatiques. Le Canada pourrait, par exemple, utiliser la Loi sur les mesures d’urgence pour se donner les coudées franches dans la lutte aux changements climatiques.

Cette «normalisation de l’urgence» comme l’appelle le professeur Maxime St-Hilaire de l’Université de Sherbrooke, existe, mais est limitée puisqu’une situation d’urgence n’a pas la vocation de durer par définition

Pendant la pandémie, le Québec a appliqué la Loi sur la santé publique, qui lui permet, par décret, de déclarer l’état d’urgence sanitaire. Cela a facilité l’implantation de mesures de lutte contre la COVID-19 comme le couvre-feu, le télétravail ou la limitation des rassemblements.

Voir un jour être adoptée une loi permettant l’état d’urgence environnemental, au provincial, est plutôt discutable pour Maxime St-Hilaire. Il faudrait qu’elle passe le processus législatif et elle devrait être constitutionnelle. De plus, celle-ci devrait être prorogée indéfiniment puisque la lutte aux changements climatiques est destinée à perdurer, alors qu’un état d’urgence est temporaire, par nature.

Toutefois, c’est au niveau fédéral que la marge de manœuvre est la plus grande puisque celui-ci a une compétence «d’urgence». La Loi sur les mesures d’urgence octroie au gouvernement des pouvoirs élargis. Il peut alors, par décret ou règlement, limiter les rassemblements ou les déplacements. Durant la pandémie, le gouvernement n’a pas utilisé cette loi pour limiter les déplacements des Canadiens, mais a plutôt appliqué la Loi sur la mise en quarantaine pour contrôler les arrivées sur le territoire.

Mais les décrets ou règlements en lien avec cette loi, anciennement appelée Loi sur les mesures de guerre, sont soumis à une approbation du Parlement. D’ailleurs, la loi n’a pas été utilisée depuis la crise d’octobre 1970.

Passeport environnemental

-+ Incitatif important à l’action, tout comme le passeport vaccinal.

– Limite l’accès à certains services pour les personnes dépassant un certain seuil d’émissions de GES.

– Atteinte importante aux droits et libertés.

– Crée des catégories de citoyens.

– Entraîne une démobilisation des citoyens à l’égard de la cause.

«Les décisions ne sont pas prises collectivement et démocratiquement en fonction d’objectifs eux-mêmes définis collectivement et démocratiquement (comme la lutte contre la crise climatique).»

Extrait du rapport du GIEC

 

 

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