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Momie égyptienne tatouée: un archéologue québécois au cœur d’une découverte inédite

ARCHÉOLOGIE. Originaire de Charlesbourg, Cédric Gobeil dirige depuis 2013 une équipe interdisciplinaire de chercheurs sur le site antique de Deir el-Medina, en Égypte. Dernièrement, dans l’une des 500 tombes qui datent de plus de 3000 ans, ils ont découvert une momie dont les nombreux tatouages symboliques constituent une première pour la discipline égyptologique. Entrevue avec l’archéologue de l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO).

Québec Hebdo: Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de la découverte de la momie, dans le cadre des recherches que vous menez?

Cédric Gobeil: Le site antique de Deir el-Medina recèle les vestiges d’un village, d’une nécropole et d’une zone cultuelle, laissés par la communauté d’ouvriers et d’artisans ayant œuvré à la réalisation des tombes royales et princières du Nouvel Empire dans les Vallées des rois et des reines. […]

Cette momie a été découverte dans le caveau de la TT 290 appartenant à l’ouvrier de Deir el-Medina nommé Ary-nefer, ayant vécu à l’époque de Ramsès II. Malheureusement, elle provient d’un contexte perturbé. La tombe avait déjà été visitée et pillée durant l’Antiquité, et ce, jusqu’à l’époque moderne. Nous ne pouvons donc pas prouver hors de tout doute ne serait-ce le simple fait que la dame tatouée ait été à l’origine inhumée dans cette tombe. Des déplacements de corps d’une tombe à une autre sont également attestés aux époques où le commerce des momies battait son plein… […]

QH: Ce n’est pas la première momie égyptienne tatouée qu’on découvre. En quoi celle-ci est-elle particulière?

CG: Le caractère franchement exceptionnel de notre découverte tient dans le fait que, pour la toute première fois, les tatouages sont des motifs figurés répartis de manière symétrique sur la moitié supérieure du corps. Avant notre découverte, les seuls tatouages connus consistaient en de simples motifs géométriques (lignes, points).

Jusqu’à présent, en se fondant sur les momies tatouées découvertes précédemment et les parallèles iconographiques, les égyptologues avaient déjà suggéré une corrélation entre la pratique du tatouage et le culte d’Hathor. Une grande partie des motifs figurés sur notre momie viennent prouver ce lien avec la déesse. Parmi les tatouages se trouvent, entre autres, deux images de la déesse représentée sous sa forme de vache (avec couronne hathorique et collier-menat), et un manche à tête d’Hathor (support d’un sistre ou d’un miroir ?).

QH: Sait-on qui elle est?

CG: Savoir qui était cette personne est l’une des questions fondamentales liées à notre découverte et aussi l’une des plus difficiles à répondre, dans la mesure où nous arrivons là dans le domaine de l’hypothèse et de l’interprétation. Grâce à l’expertise de notre anthropologue Anne Austin (Stanford University), le style de momification de notre momie correspond à celui qui était pratiqué durant le Nouvel Empire, soit entre 1550 et 1070 avant notre ère. Dans ce contexte, on peut facilement imaginer que cette femme ait été impliquée dans un culte rendu à la déesse, en tant que musicienne, chanteuse ou prêtresse. Sinon, on peut aussi penser qu’elle ait pu être une sorte de «magicienne» agissant comme intermédiaire entre le monde terrestre et le monde divin. […]

QH: Quelle est la portée de cette découverte pour le milieu de l’archéologie?

CG: Il s’agit tout simplement d’une première pour la discipline égyptologique. Une trentaine de tatouages sont présents sur le corps de cette femme, ce qui en fait aussi la momie égyptienne la plus tatouée. Les motifs sont tous figuratifs et représentent des animaux (babouins, vaches, serpents), des hiéroglyphes, des fleurs, des objets rituels et des symboles prophylactiques (yeux-oudjat). C’est la toute première fois que de tels motifs sont découverts sous forme de tatouage sur un corps momifié. […] C’est donc tout un pan de l’histoire du corps et de l’individu dans l’Antiquité qui vient de s’ouvrir.

QH: En terminant, en tant qu’archéologue, que rêvez-vous de découvrir?

CG: […] Jusqu’à présent, j’ai découvert des tombes inconnues, des maisons abandonnées et enfouies sous le sable, des momies, etc. Dans ce contexte, et en ce qui me concerne, il me ferait bien plaisir de découvrir un lot de papyrus inscrits, ce que je n’ai jusqu’à présent jamais trouvé. Souvent, ces papyrus peuvent s’avérer être des documents administratifs, mais de temps en temps, il s’agit de contes ou de «romans» racontant une histoire imaginée par les Égyptiens anciens. J’aimerais vraiment découvrir une histoire inédite! Peut-être un jour…

Québec Hebdo

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