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Ce que camoufle l’industrie cosmétique 

Le premier épisode de la docu-série produite par Cynthia Dulude a été vu plus de 70 000 fois sur sa chaîne Youtube. Photo: Photo –Dariane Sanche

INDUSTRIE COSMÉTIQUE. À l’ère de l’information et de la désinformation, de nombreux acheteurs s’interrogent sur leurs habitudes de consommation mais aussi sur les pratiques des différentes firmes. Le domaine des cosmétiques n’échappe pas à ce phénomène. Cynthia Dulude, créatrice de contenu, a décidé de s’immiscer dans les coulisses de l’industrie et de produire un docu-série composé des interventions de scientifiques de l’Université Laval.

«Ces questions, c’est un phénomène que j’avais observé depuis les dernières années, lâche la youtubeuse aux 660 000 abonnés. Avec les médias sociaux, beaucoup de personnes se prétendent expertes. La personne qui parle le plus fort, on l’entend, mais ce qu’elle dit n’est pas nécessairement vrai.» Derrière les cosmétiques, dépeint une industrie de la beauté en pleine croissance, parfois trompeuse et assurément nébuleuse pour le consommateur.

Naturel ne signifie pas sans danger

Deux tendances majeures se dessinent. Il y a d’abord une demande de produits naturels de la part des consommateurs ainsi qu’une tendance de la part de l’industrie à prôner le naturel.

En cause, le Greenwashing -écoblanchiment-, une instrumentalisation marketing qui consiste à diffuser une image de marque écologique et durable à des fins purement commerciales.  «C’est un phénomène majeur. La réalité, c’est que dans beaucoup de cas, l’ingrédient naturel sera pire que le synthétique. Souvent, les gens pensent que le 100% naturel est mieux pour l’environnement et ce n’est souvent pas le cas», a laissé tomber Rachelle Seguin, chimiste cosmétique. Un exemple, les huiles essentielles. Composées d’un extrait hautement concentré d’actifs purs, les huiles essentielles d’agrumes sont par exemple très nocives si elles sont rejetées dans l’environnement. Certaines ont également un fort pouvoir photosensibilisant et allergène pour la peau.

Autre point négatif pour l’environnement, la tendance au tout naturel entraîne une ruée vers la matière première et donc une intensification de la production pour répondre à la demande. Allant donc à l’inverse de la production durable, comme c’est le cas pour l’avocat qui entraîne par sa surproduction une déforestation en Amérique Latine. Les spécialistes de la cosmétologie rappellent que le naturel est celui qui représente le plus de toxicité et que le consommateur est souvent touché par un biais cognitif qui déforme sa perception. Le biais de la naturalité induit le consommateur en erreur, il sera alors amené à penser que si c’est naturel, c’est sain tandis que les plus grands poisons se trouvent dans la nature.

«Il y a beaucoup de mythes autour des cosmétiques surtout en matière de cosmétiques naturels versus synthétiques.»

Pour Cynthia Dulude, c’est sa volonté de «briser des mythes» qui l’a amenée à rencontrer les spécialistes. «Certains abonnés m’ont écrit en me disant ‘‘ça me fait réfléchir car j’assumais le fait que le naturel était plus sain pour la peau et l’environnement mais je vois que c’est plus nuancé que cela’’. Ça a créé des remises en questions et des prises de conscience chez certains », a-t-elle évoqué en référence au potentiel allergisant et non écoresponsable de l’industrie des cosmétiques naturels.

Autre constat, certaines marques appliquent le slogan «sans…sans» pour attester de l’absence de produits controversés dans leur gamme. Mais cette terminologie n’est pas suffisante pour juger de la qualité d’un produit. «C’est un équilibre dur à trouver. Tu peux avoir la possibilité de garder du naturel tout en étant bon pour l’écologie, c’est aussi bon de se tourner vers du synthétique quand c’est mieux pour l’environnement», a soutenu Rachelle Seguin tout en rappelant qu’au sein de son laboratoire de cosmétique sur mesure, son équipe s’est gardée «une marge de manœuvre de 5%» dans l’usage d’ingrédients synthétiques.

Commercialisé ne veut pas dire contrôlé

Dans le Règlement sur les cosmétiques du Gouvernement du Canada, il est indiqué que les entreprises sont tenues de fournir la liste des ingrédients du produit, mais il n’y a pas de préapprobation des produits. Si l’organisme est amené à le faire, ce sera seulement après sa mise en vente. En d’autres termes, aucun contrôle préalable n’est exigé à moins qu’il y ait des incidents avec les cosmétiques déjà commercialisés. «Au Canada, n’importe qui peut avoir une compagnie de cosmétiques et se proclamer formulateur, renchérit la scientifique. Aujourd’hui tu peux lancer un produit et avoir fait zéro test, il n’y a personne qui va t’arrêter.»

Rachelle Séguin est la présidente de OhMy, une marque de cosmétiques sur mesure.

Une information capitale pour Cynthia Dulude qui teste quotidiennement des produits de beauté dans le cadre de son travail. Une notion de d’approbation que bien peu de consommateurs connaissent. «J’ai posé cette question en quizz à ma communauté après la mise en ligne du documentaire: est-ce que les produits que l’on trouve sur les tablettes sont préapprouvés par Santé Canada avant d’être commercialisés ? La réponse est non, et beaucoup ont répondu oui», illustre-t-elle

Vulgariser n’est pas gage de transparence

Pour la majorité des consommateurs, les listes d’ingrédients sont très souvent illisibles. «Les gens veulent comprendre mais, la réalité c’est que si la compagnie n’écrit pas le nom latin et préfère le nom du fruit à l’arrière du contenant, c’est qu’elle ne respecte pas la réglementation», a déclaré Rachelle Séguin.

La vulgarisation ne serait donc pas un gage de transparence envers le consommateur. L’exemple du phénoxyéthanol, un conservateur antibactérien et antimicrobien également utilisé comme solvant fixateur de parfums, illustre bien le propos. «Presque personne ne l’utilise en procédé naturel car c’est un mini extrait de la feuille de thé vert et ca prendrait des quantités astronomiques pour l’inclure dans une composition». Elle poursuit: «ce qui me dérange le plus c’est que maintenant on voit écrit “libérateur de phénoxyéthanol” et que le consommateur ne puisse pas savoir qu’il y en a dans son produit. Ce procédé, c’est pour camoufler un ingrédient qui va avoir moins bonne presse et ça c’est très dérangeant dans l’industrie.»

La youtubeuse se pose la question: est-ce la meilleure façon de réagir en isolant un seul ingrédient ? «Il ne faut pas penser que les cosmétiques sont dangereux, tempère Rachelle Seguin. Mais, un ingrédient seul ne va pas agir de la même façon que dans une formulation et aussi tout dépend des peaux, il y a un effet d’ensemble», soutient-elle.

Pour Cynthia Dulude, ce constat lui a déclenché une prise de conscience, «maintenant je vais plus regarder les compositions. Mais je testerai quand même. La liste peut nous dire beaucoup mais ça peut être aussi surprenant. Je veux continuer d’apprendre à décrypter une étiquette moi-même, c’est très complexe.» Elle ajoute également, «même les applications censées aider n’ont pas les mêmes façons de scorer les produits, donc à qui se fier?», interroge-t-elle

Elle conclut donc que «ce fardeau est sur les épaules du consommateur» et qu’il est nécessaire d’être des «acheteurs réfléchis et raisonnés pour ne pas se faire avoir par le marketing et la liste des ingrédients.»

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