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«Marqués au fer rouge»

TÉMOIGNAGE. «On est étiquetés. On n’est pas libres. On ne peut pas aller où on veut, faire ce qu’on veut. On est marqués au fer rouge pour le restant de ses jours», confie Yvon Pelletier sur son ancienne vie d’agent correctionnel au Centre de détention de Québec – de «gardien à la prison d’Orsainville», dira-t-il en ses propres mots. Un métier «très dur moralement», exercé dans un milieu «démoralisant», mais qu’il n’a pas moins aimé pendant ses 33 ans de service, jusqu’à sa retraite en 2002.

De l’aplomb, de la fermeté, de la force de caractère: «Il faut que tu aies ça comme agent pour ne pas te faire manger la laine sur le dos», estime Yvon Pelletier en revenant sur certaines anecdotes.

La fois où un détenu lui a demandé de l’aider à s’évader par hélicoptère.

La fois où, alors qu’il assurait le transport d’un prisonnier, le passager d’un véhicule qui le filait a brandi une arme par la fenêtre – une fausse arme, a-t-on découvert par la suite.

La fois où il a détecté de la drogue dans les coutures d’un pantalon.

Des histoires de manipulation, de menaces, d’agressions physiques, Yvon Pelletier en déballe en vrac comme s’il les avait vécues hier.

A-t-il déjà craint pour sa vie?, s’enquiert-on. «Tu ne poses pas la question à la bonne personne», répondra-t-il après un moment de réflexion. Les détenus qui le menaçaient de mort, il les confrontait verbalement sans se laisser intimider. «Si tu penses que je vais changer de trottoir en te voyant», a-t-il rétorqué à l’un d’eux qui promettait de le «trouver» en sortant.

«On est des humains»

Ce sont à ces rencontres hors les murs qu’il fait référence lorsqu’il dit que les agents sont «marqués au fer rouge». S’il avoue, soulagé, croiser moins d’ex-détenus que ce qu’il anticipait a priori, il ne fait pas exprès non plus de fréquenter les lieux où il pourrait tomber sur l’un d’eux. Surtout en présence de sa famille. Car, s’il n’a jamais eu peur pour lui-même, il ne saurait en dire autant lorsque les menaces visaient ses proches. «C’est la chose la plus dure à prendre», évoque le retraité avec un trémolo dans la voix.

Pour autant, Yvon Pelletier persiste et signe: il a aimé son travail parce qu’il sait l’avoir accompli avec intégrité, en se tenant debout. De cela, il en tire une grande fierté. Car «les chances de « glisser » sont plus probables pour un gardien que pour une personne qui fait un autre travail», signale-t-il. Précisant sa pensée, il ajoute: «Faire la corruption d’un agent, ce n’est pas facile. Mais il y en a qui sont plus influençables, qui ont peur des représailles [de la part des détenus].»

Il en a connu quelques-uns, des gardiens sur qui des détenus ont réussi à prendre émotivement le dessus. Parfois même de façon incongrue alors qu’agent(e) et détenu(e) ont développé des sentiments amoureux. Yvon Pelletier laisse passer un long silence, pesant bien ce qu’il s’apprête à dire à propos de ce qu’il a pu observer en carrière. «On est des humains…», se contentera-t-il finalement d’énoncer avec une certaine indulgence.

Il a dit…

– «La prison, c’est un monde à part.»

– «En 1971, on appelait la prison [de Québec] « la passoire ». Les gens sortaient de là comme ça voulait. Les fenêtres étaient trop larges, même si ça avait été fait par des architectes.»

– «Si une chemise bleue [un gardien] se fait attaquer, c’est comme les trois mousquetaires, toutes les chemises bleues sont solidaires. Ça, c’est beau.»

Membre du Groupe Québec HEbdo

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