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Peut-on se battre contre un immeuble laid? 

Immeuble laid
Les immeubles laids peuvent avoir des conséquences sur la vie du voisinage. Photo: iStock

Ce qui compte c’est la beauté intérieure, non? Et bien peut-être pas quand on parle d’architecture. En effet, personne ne rêve de voir un gros bloc de béton de 15 étages s’implanter dans son quartier. Mais quand ça arrive, qui doit-on blâmer? Et surtout existe-t-il des recours? Métro s’est penché sur la question.

La laideur c’est subjectif, c’est sûr, mais il existe quand même quelques indices qui indiquent qu’un immeuble est laid, reconnaît François Racine, architecte et professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.

«On trouve souvent qu’un bâtiment est laid quand il détonne – par sa taille, ses couleurs, ses matériaux -, quand il écrase la rue, ou qu’il a une façade aveugle par exemple. Un immeuble laid c’est un immeuble qui ne s’intègre pas à son environnement», résume-t-il.

Quand un projet immobilier est imaginé, l’architecte doit donc prendre en compte les bâtiments alentour, l’espace public et le paysage pour faire des choix esthétiques en adéquation avec son environnement. Ça serait donc la faute d’architectes qui ne connaissent pas le bon goût si des immeubles moches voient le jour? En réalité c’est un peu plus compliqué que ça.  

À qui la faute?

Pour comprendre d’où viennent les immeubles laids, quelques explications s’imposent concernant la manière dont les permis de construire sont accordés aux projets immobiliers au Québec. Deux scénarios sont possibles, explique Danielle Pilette, urbaniste et professeure associée au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG-UQAM.

«Soit le projet répond de plein droit aux exigences de la ville en matière d’urbanisme et dans ce cas la demande est simplement examinée par un fonctionnaire avant d’être approuvée. Soit le projet relève de ce qu’on appelle l’urbanisme discrétionnaire, parce qu’il sort des normes, qu’il s’agit d’un projet particulier de construction ou qu’il se trouve dans une zone qui dispose d’un plan d’implantation et d’intégration architecturale [PIIA]», précise-t-elle.

Dans le premier cas, tant que le projet respecte toutes les normes dictées par le règlement d’urbanisme, l’aspect esthétique n’est pas pris en compte. En revanche, en urbanisme discrétionnaire, le projet peut être évalué selon des critères esthétiques et environnementaux.

«On pense à une harmonisation des couleurs, des matériaux extérieurs avec les bâtiments voisins, la végétation à proximité, la protection de l’ensoleillement du voisinage, la protection des percées visuelles vers une montagne, un cours d’eau, etc.», illustre l’experte.

C’est à l’architecte de réfléchir à un aménagement intelligent et bien intégré, mais la responsabilité est partagée avec la municipalité puisque c’est elle qui établit les normes et les critères.  

François Racine

Mais un autre facteur entre aussi en jeu, souligne Danielle Pilette, celui de la contrainte économique qui pousse les promoteurs à faire des concessions sur l’esthétique pour des questions de rentabilité. Un constat que partage d’ailleurs Jean-Pierre Du Sault, membre du Club d’investisseurs immobiliers du Québec.

«Avec la pénurie de main-d’œuvre, la rareté des terrains et la hausse des taux, les contraintes économiques sont importantes. On est parfois forcé de simplifier un projet sur le plan architectural, de revoir les finitions, reconnaît-il. Mais je ne crois pas qu’il devient nécessairement plus laid, disons qu’il y a moins de fioritures.»

Si un projet a été vendu avec certaines caractéristiques architecturales et que la construction finale ne respecte pas ces éléments, le propriétaire qui n’aurait pas été informé des changements peut toutefois entreprendre des mesures légales contre le promoteur, souligne François Racine.

Un immeuble laid dans mon quartier 

On pourrait se dire qu’après tout, à part nous gâcher la vue, les bâtiments disgracieux ne font de mal à personne. Mais justement, enlaidir le paysage n’est pas sans conséquences. La qualité de vie d’un quartier peut être affectée par ce genre de constructions, affirme François Racine.

«Par exemple, un immeuble avec une façade aveugle qui donne sur un parc, ça fait en sorte que les gens vont avoir tendance à moins s’approprier l’espace public. Ça peut même ensuite causer des enjeux de sécurité si les personnes qui fréquentent un parc viennent pour être à l’abri des regards. Sans compter que la beauté est importante, pour notre bien être», explique le spécialiste en design urbain.

De plus, les choix qui vont contre le bon goût ont souvent un impact environnemental négatif. «Choisir des matériaux de moindre qualité, c’est nuire à la durabilité du bâtiment», note ainsi Danielle Pilette. «Un toit vert plutôt qu’un toit noir, ce n’est pas juste joli, mais ça permet de lutter contre les îlots de chaleur», ajoute-t-elle à titre d’exemple.

Un bel environnement peut aussi être un argument de vente, selon François Racine. Et à l’inverse, des immeubles moches parsemés dans le quartier auront des conséquences sur la valeur foncière des autres immeubles alentour.

«Plus que les nouvelles constructions, je pense que les bâtisses délaissées peuvent avoir un impact sur la valeur des biens, croit quant à lui l’investisseur Jean-Pierre Du Sault. Ça envoie le message que le quartier n’est pas sécuritaire et ce n’est pas très vendeur.»

Comment lutter?

Malheureusement, une fois le bâtiment construit, en tant que citoyen il n’y a rien que vous puissiez faire. C’est en amont que ça se passe. «Si on veut donner son avis sur les projets de construction, il faut suivre les avis publics, s’informer et se présenter aux consultations publiques ou participer aux comités consultatifs d’urbanisme quand il y en a», conseille Danielle Pilette.

Les mobilisations citoyennes ont d’ailleurs pesé sur plusieurs projets immobiliers, mais aussi sur des projets d’envergure, notamment à l’époque où Loto-Québec avait voulu déplacer le casino de Montréal plus proche du centre-ville ou dans le cas du REM de l’Est qui devait longer René-Lévesque.

À Québec aussi, certains bâtiments ont soulevé l’ire des citoyens principalement voisins de ceux-ci. C’est arrivé récemment pour un complexe locatif proposant de densifier un portion du chemin des Quatre-Bourgeois, entre les avenues Duchesneau et Wilfrid-Pelletier. Les propriétaires résidentiels craignant de se retrouver avec «un mur immobilier» dans leur cour ont fait pression auprès de l’arrondissement et du promoteur. Bon joueur, ce dernier a ajusté son projet pour en atténuer les irritants.

Plus souvent, la vieille ville patrimoniale fait l’objet de protestation pour des édifices laissés à l’abandon. Ce fut le cas pour la Maison Pollack sur la Grande Allée, que la Ville a expropriée pour favoriser sa rénovation et assurer sa pérennité.

«Les élus doivent être vigilants à cet enjeu et se montrer à l’écoute, croit aussi François Racine. On sait qu’il faut plus de logements, mais il va falloir trouver une manière d’amener plus de densité sans forcément construire des tours de condos de 15 étages et surtout, penser à la durabilité dans une visée de développement écologique. Ça existe dans les pays scandinaves ou encore en Allemagne, l’écoquartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau sert souvent d’exemple.»  

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