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Retardateurs de flamme: un véritable danger pour la faune

Prise de vue large du Vieux-Montréal à partir du fleuve Saint-Laurent.
Photo: iStock
Jonathan Verreault - La Conversation

Les retardateurs de flamme sont ajoutés à une variété de produits afin de ralentir la propagation des flammes en cas d’incendie. On les retrouve par exemple dans les matériaux de construction, les plastiques, les mousses à base de polyuréthane dans les meubles, les textiles, les pièces automobiles, et l’équipement électronique (votre iPhone!) et électrique. Décryptage avec Jonathan Verreault, professeur titulaire au Centre de recherche en toxicologie de l’environnement (TOXEN), à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).


ANALYSE – Malheureusement, ces normes sont souvent de mauvais prédicteurs des risques d’incendie réels et conduisent trop souvent à l’utilisation non fondée de ces composés chimiques toxiques. Mais c’est là un autre débat…

Lorsque les gens se débarrassent des produits de consommation contenant des retardateurs de flamme, ces composés chimiques se retrouvent dans l’environnement et contaminent la faune du fleuve Saint-Laurent et de son estuaire. Ils peuvent également parcourir de grandes distances dans l’air vers les régions éloignées, jusqu’en Arctique. Résultat: on trouve aujourd’hui ces composés ignifuges dans presque toutes les espèces étudiées dans le fleuve Saint-Laurent.

flèche munie d’un dard sur le flanc d’un rorqual partiellement submergé dans l’eau
À l’aide d’une arbalète, une flèche munie d’un dard à biopsie est tirée sur l’un des flancs du petit rorqual afin de collecter un échantillon de peau et de gras. (Mériscope), Fourni par l’auteur

Or, l’exposition à certains retardateurs de flamme chez les animaux est associée à des troubles du développement et de la reproduction et à une perturbation hormonale. Les retardateurs de flamme halogénés (soit ceux qui contiennent des atomes de brome ou de chlore) sont parmi les plus utilisés et les plus problématiques pour l’environnement. Nombre d’entre eux sont dorénavant interdits, comme les polybromodiphényléthers (PBDE), mais une nouvelle génération d’ignifuges les remplaçant n’ont pas été suffisamment testés et sont susceptibles de causer des effets similaires.

Devrait-on s’inquiéter de leur impact sur la santé des espèces sauvages?

Chercheur en écotoxicologie, je consacre une partie de mes travaux sur les retardateurs de flamme dans l’environnement et leurs impacts sur la faune. Je vous présente ici un bref portrait de la situation portant sur trois espèces emblématiques de chez nous : le grand brochet, le petit rorqual et le béluga.

La faune du Saint-Laurent fortement exposée

Lorsqu’ingérés ou inhalés, les PBDE s’accumulent dans les tissus des animaux au fil du temps. Leurs concentrations augmentent également chez les espèces qui occupent les maillons supérieurs de la chaîne alimentaire, surtout dans les régions densément peuplées, fortement polluées.

Des concentrations hépatiques en PBDE quatre fois plus élevées ont été mesurées chez un poisson prédateur, le grand brochet, exposé à l’effluent de la station d’épuration des eaux usées de la ville de Montréal, par rapport à un site en amont dans le fleuve. Ces résultats soulignent l’importance des rejets municipaux des grandes agglomérations urbaines comme source d’exposition aux retardateurs de flamme pour les organismes du fleuve. De nouveaux retardateurs de flamme ayant remplacé les PBDE, comme les composés chimiques chlorés apparentés aux déchloranes, utilisés principalement dans la gaine des fils et câbles électriques, ont également été mesurés chez ces mêmes brochets.

une personne qui porte des gants de nitrile mauves tient une pince et manipule un morceau de gras qui sort d’un tube
L’équipe de recherche retire la biopsie du dard. (Mériscope), Fourni par l’auteur

Une étude réalisée en aval des grands centres urbains sur le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent, une population actuellement considérée comme étant en voie de disparition, a révélé des concentrations de PBDE dans leur gras parmi les plus élevées chez les mammifères marins dans le monde. Malgré l’interdiction d’utiliser les PBDE depuis bientôt 15 ans, ces concentrations ne semblent pas diminuer.

À titre comparatif, les PBDE dans le gras des bélugas ont été mesurés à des concentrations environ quatre fois plus élevées que chez le petit rorqual, une baleine à fanons qui est un visiteur saisonnier de l’estuaire du Saint-Laurent. Un certain nombre de retardateurs de flamme nouvelle génération ont également été mesurés dans le gras de bélugas et de petits rorquals de l’estuaire. L’histoire semble se répéter…

Des impacts possibles sur la santé des animaux?

Les PBDE sont toxiques pour les animaux qui y sont exposés. Sans toutefois confirmer de liens de causalité, les études sur les espèces sauvages indiquent que les retardateurs de flamme peuvent provoquer dans l’organisme un éventail d’effets délétères sur leurs fonctions hormonales, immunitaires et métaboliques, et donc sur leur croissance, leur reproduction et leur développement. C’est ce que confirment, du moins en partie, les études sur les impacts des retardateurs de flamme sur le brochet, le béluga et le petit rorqual du Saint-Laurent.

2 personnes effectuent des manipulations scientifiques sur un bateau
Après avoir séparé la peau du gras de la biopsie effectuée sur le rorqual, l’équipe de recherche traite les échantillons rapidement afin d’éviter leur dégradation. (Mériscope), Fourni par l’auteur

Chez le brochet, l’exposition aux retardateurs de flamme contenus dans l’effluent de la ville de Montréal aurait un impact sur la régulation des hormones thyroïdiennes et de certains gènes dans le foie impliqués dans le métabolisme des lipides, sources importantes d’énergie pour plusieurs fonctions biologiques.

Chez les bélugas et les petits rorquals, l’exposition aux retardateurs de flamme, incluant quelques composés émergents, a également été associée à des effets sur les hormones. Des liens ont été établis entre les concentrations de certains retardateurs de flamme comme les PBDE chez ces deux cétacés et les niveaux d’hormones thyroïdiennes et l’expression de certains gènes jouant un rôle clé dans la régulation des hormones stéroïdiennes et thyroïdiennes impliquées dans la reproduction et le métabolisme.

La pollution chimique chez ces espèces va toutefois bien au-delà des retardateurs de flamme, car un cocktail complexe de contaminants, dont le nombre grandit d’année en année, s’accumulent dans les tissus de celles-ci, pouvant créer des effets additifs, voire synergiques. Malheureusement, le cycle perpétuel des substitutions regrettables – le remplacement d’un composé toxique par un autre qui risque d’être éventuellement jugé toxique à son tour – semble se répéter.

Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour la santé de notre majestueux fleuve Saint-Laurent et de sa précieuse faune.

Cet article fait partie de notre série Le Saint-Laurent en profondeur. Ne manquez pas les nouveaux articles sur ce fleuve mythique, d’une remarquable beauté. Nos experts se penchent sur sa faune, sa flore, son histoire et les enjeux auxquels il fait face. Cette série vous est proposée par La Conversation.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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