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Les grands oubliés de notre économie : les agriculteurs

L’agriculture a besoin d’aide, et ce dès maintenant. Une grande partie de l’attention a été accordée au programme des travailleurs étrangers au cours des dernières semaines. Ottawa et les provinces ont fait de leur mieux pour atténuer la situation. Mais ce n’était que le début. Pour les agriculteurs, le pire reste à venir.

D’abord, la production animalière vit des moments difficiles. Au pays, jusqu’à présent, plus de sept usines de transformation de viande ont dû fermer leurs portes en raison d’employés ayant contracté la COVID-19. Il y en aura d’autres. Certaines usines ont dû fermer jusqu’à 14 jours. Ces fermetures peuvent être assez perturbatrices pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, mais surtout pour les agriculteurs.

Bloomberg a rapporté la semaine dernière que des milliers de porcs avaient été euthanasiés au cours des dernières semaines, et que d’autres devraient encore subir le même sort. Certains rapports suggèrent que plus de 90 000 porcs sont susceptibles d’être ainsi expulsés de la chaine alimentaire. Bien qu’étant une solution horrible, les éleveurs n’ont aucune autre option à leur disposition. Pour plusieurs usines de transformation, les fermetures et les ralentissements ont créé des retards ingérables. Dans le cas de la production porcine, il y a peu ou pas de marge de manœuvre. Lorsqu’un animal est prêt à être abattu, il doit l’être le plus tôt possible, sinon les coûts pour le producteur augmentent. Encore pire, la qualité du produit peut être gravement compromise alors que l’animal pourrait potentiellement ne pas se conformer aux spécifications du marché, fortement imposées par les transformateurs et les épiciers.

Les éleveurs bovins de l’Ouest sont également touchés par les problèmes en transformation. Bien que le cycle de production soit plus indulgent pour le bœuf, pour de nombreuses régions au pays, incluant l’Ontario, l’industrie connaissait déjà un arriéré important avant la crise actuelle. La COVID-19 n’a fait qu’empirer les choses. Bien sûr, garder les animaux plus longtemps que prévu dans les parcs d’engraissement augmente les coûts pour les éleveurs. En plus, du côté des revenus, les prix des bêtes à la ferme sont très bas en ce moment donc les producteurs reçoivent également moins d’argent pour leurs produits.

« À chaque jour, Ottawa offre de l’aide à différents secteurs de notre économie. À part l’aide pour les travailleurs saisonniers, les agriculteurs attendent toujours. Pendant que des bêtes se font euthanasiées et que différentes denrées sont carrément jetées, plusieurs producteurs agonisent. D’ici la fin de l’année, nous risquons de perdre 10% à 15% de nos fermes, un problème effarant pour nous tous. »

Effectivement, la pandémie mondiale a gravement affecté l’économie et les marchés à terme. Les prix des porcs maigres étaient à leur plus bas niveau depuis 30 ans et la valeur des bovins d’engraissement a diminué ces derniers temps. Comme c’est habituellement le cas, ces ralentissements économiques majeurs amèneront les gens à manger moins de viande.

Mais les problèmes ne concernent pas uniquement le bétail. En raison de la fermeture des restaurants et de l’ensemble du secteur des services alimentaires, plusieurs produits de base sont touchés. L’industrie des champignons en est un bon exemple. Le secteur tire près de la moitié de ses revenus de la restauration. Les producteurs de champignons au Canada perdent actuellement 400 000 $ par semaine et aucun programme lié à la COVID-19 ne peut les aider jusqu’à présent. De nombreux autres groupes sont touchés ou le seront, tôt ou tard.

Les États-Unis ont récemment offert des fonds pour aider les agriculteurs américains à contrer les effets de la COVID-19, soit près de 19 milliards de dollars, rien de moins. Au Canada, pour aider les agriculteurs avec la situation, des programmes comme Agri-stabilité et Agri-investissement sont soit inadéquats ou bien non pertinents.

Essentiellement, l’agriculture est largement mal comprise à Ottawa ces jours-ci, et la crise de la COVID-19 en est la preuve. À la base, le gouvernement actuel est essentiellement urbain et ses décisions durant la présente crise le démontrent bien. Jusqu’à présent, la plupart des programmes liés à la COVID-19 étaient nécessaires. En revanche, pendant qu’Ottawa affirme que le secteur agroalimentaire est essentiel à notre bien-être et notre économie, leur palmarès n’est pas très convaincant.

Depuis le début de la crise, le gouvernement fédéral évalue exclusivement la plupart des problèmes sous l’angle de la santé publique. Ceci était certes nécessaire au début, mais continuer sur cette voie pourrait rendre difficile notre parcours vers une reprise économique, surtout pour l’agriculture. Le programme s’adressant aux étudiants, présenté la semaine dernière, en est un bon exemple. Alors que certaines provinces, comme le Québec, cherchent désespérément à envoyer des jeunes Canadiens sur le terrain pour aider les agriculteurs, Ottawa offre du financement aux étudiants afin qu’ils puissent rester à la maison, à être payés à ne rien faire. Le programme des étudiants n’a fait que rendre le recrutement des agriculteurs encore plus difficile. Une occasion ratée sur toute la ligne.

Du point de vue de la sécurité alimentaire, les enjeux sont manifestement élevés. Le Canada perd généralement entre 5% et 7% de ses fermes chaque année. La COVID-19 pourrait potentiellement doubler ce nombre cette année, peut-être plus. Un financement d’urgence est nécessaire pour les agriculteurs afin de les compenser pour leurs pertes. Aussi, les exploitations agricoles ont besoin d’aide pour protéger adéquatement leur main-d’œuvre et s’adapter aux mesures requises face à la COVID-19, qui comprendraient des logements supplémentaires et un transport approprié pour les travailleurs.

De toute évidence, chaque denrée a ses particularités et aura un cycle de production propre à chacun des secteurs. Chaque secteur nécessitera probablement une attention sur mesure, à des moments précis de l’année. Alors que nous essayons tous de rester en sécurité et de se protéger face aux conséquences de la COVID-19, les agriculteurs sont gravement touchés et le besoin de financement d’urgence est palpable, comme dans tout autre secteur touché par la crise.

Tout au long de cette crise, pour lutter contre la COVID-19, le gouvernement a souvent comparé le virus à une maison en flammes et a déclaré qu’il est insensé d’économiser de l’eau pour éteindre l’incendie. La fondation de cette maison, pour ainsi dire, est l’agriculture. C’est le fondement de toute notre économie. Mais pour l’instant, notre fondation a été largement oubliée.

 

Dr. Sylvain Charlebois, professeur titulaire, directeur principal, Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire, Université Dalhousie

 

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